Anaïs Demoustier : “J’aime le cinéma qui suscite la controverse”

ARTNEWSPRESS: Elle donne la réplique à Fabrice Luchini dans le très réussi «Alice et le maire». Et s’impose plus que jamais comme l’actrice de sa génération.

A 32 ans, elle a la filmographie la plus irréprochable de sa génération. De Bertrand Tavernier à François Ozon, de Claude Miller à Robert Guédiguian en passant par le délirant Quentin Dupieux, Anaïs Demoustier trimballe depuis ses débuts, à 15 ans chez Michael Haneke, une image de première de la classe dont elle se joue avec grâce dans « Alice et le maire », de Nicolas Pariser. Face à Fabrice Luchini en homme politique au bout du rouleau, elle y incarne une jeune philosophe, embauchée par la mairie de Lyon pour redonner des idées à son patriarche fatigué. Un face-à-face digne du meilleur du cinéma français.

Paris Match. Comme le personnage d’Alice, vous êtes un peu la bonne élève du cinéma français : discrète, sérieuse, et, pourtant, vous avez une filmographie exemplaire.
Anaïs Demoustier. Ça me fait bizarre parce qu’on me le dit pas mal en ce moment : “C’est fou votre filmographie !” Ce qui se dessine à travers mes choix, c’est mon instinct, mon goût de spectatrice. Je n’ai jamais participé à un projet que je n’avais pas envie de faire juste parce qu’il fallait travailler ou parce que c’était bien d’avoir un rôle important… J’ai préféré avoir des seconds rôles mais avec des metteurs en scène passionnants, comme Quentin Dupieux, même si ce n’était que trois jours de tournage. Ça ne veut pas dire changer le monde à chaque film mais j’ai besoin qu’il y ait une vision, une singularité derrière un projet. Comme Alice dans le film, je ne suis pas quelqu’un qui assène des vérités, qui a des avis très tranchés… Je n’ai pas l’impression qu’il faille se définir à gros traits.

En dehors de “Situation amoureuse : c’est compliqué”, de Manu Payet et “Sauver ou périr”, de Frédéric Tellier, vous êtes tout de même abonnée au cinéma d’auteur…
On caricature souvent le cinéma d’auteur en disant que les gens se prennent une punition à chaque fois qu’ils y vont. Mais cette phrase, moi, me déprime ! C’est triste qu’il y ait des spectateurs qui pensent : “Oh ! là, là ! ils vont encore nous faire chier avec leur film !” “Alice et le maire” par exemple est à la fois tourné vers les gens et en même temps exigeant, il parle des gens qui réfléchissent et ne les prend pas pour des idiots, ça fait du bien. C’est agréable d’être dans un projet où on a l’impression d’être parfaitement à sa place. J’avais déjà ressenti ça avec “Bird People” de Pascale Ferran ou “Une nouvelle amie” d’Ozon, des films qui m’ont vraiment exaltée. Celui-là en fait partie.

Ça rend cinéphile de débuter à 15 ans sous la direction Michael Haneke ou vous l’étiez déjà avant ?

Démarrer une carrière avec Haneke m’a donné une certaine idée du cinéma, j’ai compris que c’était vraiment un art à travers lequel il était possible de dire des choses, qui pouvait même susciter la controverse. Je me rappelle que la projection à Cannes a été un fiasco, les gens sifflaient dans la salle, enfin, c’était vraiment très houleux, donc je me suis dit : “Ah oui, ça peut vraiment être un lieu de débat, de rixe, où l’on prend position.”

J’ai eu une sorte de référent de scénario qui était Haneke

Ça ne vous a pas traumatisée ?
Non, pas du tout. Sur le moment, je ne comprenais rien, j’avais 15 ans, je me disais : “Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Même à Lille, d’où je viens, les gens dans les salles sont plus calmes. Là on est à Cannes.” Après, on m’a expliqué : “Haneke, c’est un metteur en scène qui crée la controverse, il aime ça, il est presque content que ça réagisse comme ça.” Je me suis dit : “Ah d’accord, super !” [Elle rit.] C’est sûr que ça a conditionné mes goûts, parce que je me souviens qu’après on m’avait proposé une série sur TF1 que j’avais refusée, ce qui avait déchaîné les foudres de la directrice de casting, qui m’avait balancé : “Cest fou de refuser un rôle récurrent dans une série ! Tu ne te rends pas compte, tu ne vas pas t’en sortir !” Mais assez vite, j’ai eu une sorte de référent de scénario qui était Haneke. Puis, mon frère m’a montré des films avec des jeunes filles de grands cinéastes, “L’effrontée”, “La petite voleuse”, “A nos amours”… et ça a complètement éveillé mon goût pour ce cinéma français : Sautet, Pialat, Chabrol… Parce qu’à la maison on regardait surtout des films familiaux comme “L’as des as”, “Fantomas”,“Sissi”, “Les bronzés font du ski”.

Vous n’aviez jamais tourné avec Fabrice Luchini…
Je ne me suis pas complètement pliée à sa méthode, qui consiste à travailler énormément le texte très en amont. Il m’a appelée quatre mois avant le tournage pour répéter, et bon, moi je l’avais pas appris ! [Elle rit.] Je lui ai dit honnêtement : “Je ne peux pas faire des italiennes au téléphone maintenant, mais on pourra en faire plus tard.” [Elle rit.] Au final, Fabrice a été généreux, et à fond. Alors qu’on m’avait dit : “Ma pauvre tu vas tourner avec Luchini, ça va être horrible.” Il ne faut quand même pas s’exciter sur les on-dit. Parfois on diabolise certains metteurs en scène et finalement ça se passe bien.

Vous pourriez tourner avec Kechiche par exemple ?
Oui ! Je pense que toutes les histoires sont différentes et j’ai quand même mes propres limites. Si quelqu’un fait quelque chose que je déplore totalement, je saurai lui dire non. Pialat, pareil, j’y serais allée quoi qu’il arrive. C’est un regret, un des seuls cinéastes où, quand je vois ses films, je m’imagine dedans.

J’ai du mal avec les acteurs qui parlent trop de politique

Après “Quai d’Orsay”, c’est votre deuxième film qui se passe dans le milieu politique. Vous sentez-vous concernée, engagée ?
Je me sens concernée, comme la majorité des gens. Je n’ai jamais été apolitique ou complètement déçue. J’ai encore l’impression de croire en quelque chose et j’aime le film pour ça aussi : il montre les limites de la politique mais il n’est pas totalement décourageant. J’ai la sensation qu’on va revenir à des fondamentaux, il va bien y avoir quelqu’un qui va nous dire des choses qui vont nous faire du bien, nous rassembler, nous donner envie de le soutenir. Une ferveur, ce serait bien !

Si ce candidat arrivait, vous pourriez vous engager publiquement pour le soutenir ?
Je ne sais pas, ça ne s’est jamais présenté. J’ai du mal avec les acteurs qui parlent trop de politique, moi je déteste parler de ce que je ne connais pas, de me lancer dans de grandes théories politiques parce que je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants, je n’ai pas fait d’études, ma parole n’a pas plus d’intérêt que celle d’un autre.

Les questions actuelles sur le genre, le patriarcat, ça vous parle vous qui avez tourné avec beaucoup de réalisatrices ?
Je comprends que certaines se battent pour arrêter les agressions dans le milieu du cinéma et dans tous les milieux d’ailleurs. je trouve ça génial que la parole se libère, qu’on se bouge un peu pour les femmes qui se font taper dessus en permanence, c’est évident que c’est important. Même si ça me paraît un peu tard, si c’est maintenant, tant mieux. Après, dans mon métier d’actrice, tout dépend des rôles qu’on choisit. Certains disent : “Ozon déteste les femmes, c’est un réalisateur misogyne !” Je ne suis pas d’accord avec ça. Tout est une affaire de sensations.

Vous êtes extrêmement discrète sur votre vie, on ne sait même pas comment s’appelle votre fille… La célébrité vous fait peur ?
Oui, la discrétion est un choix, c’est même une lutte. Parce que lorsque je donne rendez-vous a des journalistes en bas de chez moi, après ils écrivent que j’habite aux Buttes-Chaumont… Quand je lis des interviews, je déteste que les acteurs parlent de leur quotidien, je trouve ça déprimant, je n’en ai rien à carrer. Et puis surtout, c’est une manière de protéger mes proches, parce que ma fille, si ça se trouve, elle n’a pas envie que je parle d’elle.

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Karelle Fitoussi

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