Avec « J’ai perdu mon corps », Jérémy Clapin met l’animation au service de l’ineffable

ARTNEWSPRESS: Le cinéaste a construit un récit poignant, adapté d’un roman de Guillaume Laurant, sur une main amputée qui tente de rejoindre son corps.

Bien au-delà de l’évidente étrangeté de son postulat de départ – une main amputée tente de rejoindre son corps d’origine à travers une ville du XXIsiècle –, J’ai perdu mon corps ne ressemble à rien de ce qu’on voit ces temps-ci dans les salles obscures. Pour dire la solitude, la dislocation du réel, la fragilité des souvenirs et l’inconsistance du présent, Jérémie Clapin recourt à l’animation, non pas comme un moyen de contourner les difficultés qu’aurait suscitées la représentation photographique, mais pour exprimer l’ineffable qui habite les vies les plus quotidiennes.

Adapté très librement, à l’initiative du producteur Marc du Pontavice, d’un roman de Guillaume Laurant (publié en 2006 sous le titre Happy Hand, au Seuil), J’ai perdu mon corps va et vient entre le passé et le présent en un mouvement qui tarde un peu (et c’est la seule faiblesse de ce beau film) à trouver son rythme. Une fois celui-ci stabilisé, cette alternance acquiert un pouvoir hypnotique qui happe le spectateur consentant dans l’univers singulier de son créateur.

Le présent, c’est celui de la main, conservée au frais dans un réfrigérateur d’un établissement médical. Possédée par quelque esprit, elle reprend vie et s’échappe de l’appareil puis de l’hôpital pour entreprendre une migration aussi mystérieuse qu’inéluctable. Jérémy Clapin joue aussi bien sur l’horreur de la situation (il ne cache pas que sa découverte par un humain ramènerait ce fragment de créature dans le domaine du cinéma de genre) que sur le changement d’échelle et de perspective que sa taille entraîne. Qu’elle croise le chemin de rats urbains où qu’elle s’attarde dans la salle de bain où une mère fait la toilette de son nourrisson, la main exacerbe, par sa seule présence, des situations qui relèveraient autrement de la banalité la plus écrasante. Bien avant que le scénario dévoile les raisons de l’amputation, la main devient à la fois la représentation et le révélateur de l’aliénation quotidienne

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Thomas Sotinel

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