Critique : Les Envoûtés, de Pascal Bonitzer – Critikat

ROOZBEH JAFARI ARTNEWSPRESS: Pigiste dans un ersatz de Psychologies Magazine, Coline (Sara Giraudeau) rencontre Simon (Nicolas Duvauchelle) pour les besoins de son « récit du mois ». Dans sa maison perdue au fin fond des Pyrénées, l’artiste-peintre exerce un étrange attrait sur la jeune femme, tandis qu’il retarde de jour en jour l’objet du reportage : raconter comment lui est apparu le fantôme de sa mère. À partir de ce canevas librement inspiré de la nouvelle Les Amis des amis de Henry James, Pascal Bonitzer tire son premier film fantastique, dont l’intérêt principal tient à sa manière assez séduisante d’aborder le genre. L’étrange s’immisce ici par la multiplication de motifs incongrus qui visent à mettre en place, au sein de scènes parfaitement banales, une série de décalages. Leur récurrence instaure, à terme, un climat diffus d’inquiétude. C’est par exemple le cas des discussions sentimentales entre Coline et son meilleur ami (Nicolas Maury) : elles se déroulent dans un salon couvert d’un papier-peint champêtre aussi bizarre que kitsch (Bonitzer s’amusant du patronyme du confident, nommé judicieusement Sylvain), qui transforme finalement la pièce en un étouffant théâtre de verdure annonçant le rôle central que jouera dans la suite du film la forêt située aux abords de la propriété de Simon.

De l’esprit de concision

À son meilleur, le film semble ainsi reposer sur la tentation d’un basculement, constamment retardé, vers un récit véritablement surnaturel, au sein duquel les détails bizarres qui parsèment les images, élevés au rang de signes ésotériques, trouveraient une explication. Cette dynamique est soulignée par deux fois, lorsque Coline perd l’équilibre alors qu’elle franchit le seuil d’une laverie automatique, puis d’un quai de gare SNCF. Dans chacune de ces scènes, la traversée implique pour elle de basculer dans un espace où les fantômes interagissent manifestement avec les vivants : avant l’arrivée de Coline, la laverie est ainsi le théâtre d’une apparition spectrale, celle du père de son amie Azar (Anabel Lopez), tandis que l’arrivée de Coline sur le quai correspond au moment où (on l’apprendra plus tard) un personnage central de l’intrigue est amené à perdre la vie. Contre une esthétique de l’angoisse fondée sur des figures stéréotypées dont le film se moque ouvertement (cf. la récurrence du motif topique de l’araignée, censée donner des nuits blanches à Coline), Les Envoûtés joue la carte d’un fantastique dont le minimalisme s’inscrit nettement dans le prolongement du cinéma de Jacques Tourneur.

Reste qu’en dépit de cette filiation très nette, la deuxième partie s’avère une bien pâle copie des chefs-d’œuvre du maître, dès lors que Coline « passe de l’autre côté du miroir » pour rejoindre Simon et ses fantômes. Si l’écriture tourneurienne repose également sur l’ambivalence de certain détails concentrant plusieurs significations contradictoires (exemplairement, les ombres de la scène de la piscine dans La Féline), son art réside avant tout dans sa capacité à tirer de la concision narrative[1] et de l’économie de moyen propres à la série B des visions certes ambiguës, mais profondément saisissantes[2], dont l’omniprésence aboutit à un climat d’inquiétude latent auquel échappe bien souvent le récit de ces Envoûtés. D’où une inévitable impression de remplissage face à l’accumulation des séquences maladroites (la scène de rêve) ou franchement embarrassantes (les menaces pathétiques de Sylvain, pistolet au poing) qui tentent toutes de saisir l’emprise de l’invisible et du hors-champ sur Coline, sans parvenir à véritablement figurer cette recherche de manière convaincante. Difficile de ne pas sortir du film sans un sentiment de gâchis, ou du moins d’incomplétude, au vu de son ambition, d’autant plus que les toutes dernières minutes retrouvent le tempo languissant de la première partie, habitée par la mélancolie tragique qui se trouvait au cœur de la nouvelle originale.

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Thomas Grignon

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