Hirokazu Kore-Eda nous raconte “La Vérité”

ROOZBEH JAFARI ARTNEWSPRESS: Palmé d’or au Festival de Cannes 2018 pour «Une affaire de famille», le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda revient déjà dans nos salles avec un projet français, «La Vérité», et un casting deux étoiles : Catherine Deneuve et Juliette Binoche, mère et fille qui se disputent autant qu’elles s’aiment.

Paris Match. Pourquoi ce projet en France ?
Hirokazu Kore-Eda. C’est Juliette Binoche qui est à l’origine du film. Elle m’a dit qu’il fallait que nous fassions un film ensemble avec beaucoup d’enthousiasme et de passion. Et elle m’a communiqué son énergie. En 2015, je lui ai soumis un premier synopsis, vaguement inspiré de la nouvelle «Cathedral» de Raymond Carver. A ce stade là, j’avais déjà en tête qu’elle formerait un duo avec Catherine Deneuve, fille et mère. C’est donc un projet qui a mis du temps à murir. J’avais envie d’écrire un film sur les actrices et j’ai pris du temps pour m’entretenir assez longuement avec Juliette et Catherine. Ce travail d’écoute a nourri le scénario au fil des années.

Catherine Deneuve emmène avec elle le souvenir de François Truffaut et le tournage du film fait penser à «La Nuit américaine» du même cinéaste. «La Vérité» est aussi un hommage à la Nouvelle Vague ?
Ce n’est pas à proprement parler un hommage à «La Nuit américaine», mais oui, j’ai revu le film avant de tourner «La Vérité» et j’ai également lu un livre qui lui est consacré. Mais je crois que «La Vérité» est finalement plus proche du «Dernier métro» (film de François Truffaut avec Catherine Deneuve, Ndlr), avec cette idée du film dans le film. «La Nuit américaine» est entièrement centré sur un tournage.

Le cinéma permet de brouiller les pistes quant à l’identité ou la nationalité

Comment avez-vous travaillé avec Catherine Deneuve ? Le titre «La Vérité» suppose une mise à nu de l’actrice et un jeu de miroir avec sa vie.
J’avais en tête l’idée d’une actrice qui avait perdu à la fois une rivale et une amie avant même que ce projet ne se concrétise en France avec Catherine Deneuve. C’est une histoire que j’avais imaginée il y a une quinzaine d’années, au Japon. J’avais même imaginé une pièce de théâtre autour d’une comédienne qui, dans sa loge, au crépuscule de sa carrière, était hantée par son ancienne amie et rivale décédée. De mes entretiens avec Catherine Deneuve, il y a eu des éléments que j’ai récupérés pour le scénario, par exemple sa réponse au journaliste quand il lui demande si une actrice plus jeune a récupéré son ADN et qu’elle répond, « en France, je vois vraiment personne». C’est une réponse qu’elle m’a faite et je trouvais amusant que son personnage l’utilise comme réplique. Il y a des détails qui sont inspirés de nos conversations mais jamais elle ne m’a dit qu’il fallait enlever tel ou tel élément du scénario, car, pour elle, Fabienne est très loin de qui elle est au quotidien.

Comment avez-vous réussi à conserver votre précision des dialogues et des situations malgré la barrière de la langue ?
Je n’avais pas en tête le désir impérieux de réaliser un film qui me ressemble, ce n’était pas un défi qui m’a obsédé. J’ai eu la chance de travailler avec les mêmes conditions qu’au Japon. J’ai écrit, réalisé et participé au montage du film avec le Final Cut, en toute confiance. Cela m’a beaucoup aidé. J’ai écrit la première version du scénario en japonais et j’ai demandé à ma traductrice, Léa, de le traduire en français. Après ce scénario a été soumis à l’équipe française qui avait la possibilité de me faire des retours sur les dialogues et les situations qui leur semblaient incohérents par rapport à la culture française. Cela a permis de nombreux ajustements. Sur le plateau, j’ai travaillé comme au Japon. Mon rôle était le même : tirer le meilleur de mon équipe, notamment de mes acteurs.

Vous avez choisi un acteur américain, vous êtes Japonais et tourné un film en français, la cuisine est italienne… Vous vouliez faire passer l’idée d’une universalité du cinéma ?
Oui, il y avait un peu de ça. Si j’avais choisi de la cuisine française, cela aurait été peut-être un peu trop convenu et j’avais envie d’amener une touche italienne au film. Le compositeur est russe également. Oui, j’aimais cette idée. Le cinéma permet justement cela, de brouiller les pistes quant à l’identité ou la nationalité. C’est comme s’il existait plein de couleurs différentes. je voulais que le film soit une polyphonie de toutes ces influences.

Le film est une déclaration d’amour aux actrices. Quelles sont justement les actrices du passé ou du présent qu’il admire depuis toujours ?
Giulietta Masina, Anna Magnani, Joan Fontaine, Gena Rowlands, Hideko Takamine (actrice japonaise notamment du sublime «Nuages flottants» de Mikio Naruse, Ndlr) et puis bien sûr Catherine Deneuve et Juliette Binoche (rires).

Gena Rowlands, je ne suis pas surpris. On ressent l’influence de John Cassavetes sur «La Vérité» même si votre film est plus léger.
C’est l’un de mes cinéastes idéaux, avec Eric Rohmer notamment. Quand je vois leurs films je me dis : ah si seulement j’arrivais à mettre en scène des films comme les leurs…

Vous enchaînez les films et les projets. Avez-vous déjà en tête le suivant ?
J’ai annoncé que j’allais respecter une pause jusqu’à l’année prochaine mais j’ai quatre projets en développement. J’ai décidé de prendre le temps de choisir parmi ces derniers. Il faut que je fasse refroidir le moteur même si ce n’est pas évident pour moi.

Vous figurez en bonne place dans les listes des films préférés de la décennie des réalisateurs sondés par «Les Cahiers du cinéma». Et vous, quels sont vos films préférés ?
«Cold War» de Pawel Pawlikowski et (après une longue réflexion) «The Act of Killing» de Joshua Oppenheimer.

Retrouvez notre rencontre avec Juliette Binoche et Hirokazu Kore-Eda dans le numéro 3686 de Paris Match, en vente jeudi dans les kiosques et sur iPad.

https://parismatch.com

Yannick Vely

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