Joker : danser sur la folie du monde ★★★★

ARTNEWSPRESS: Depuis son sacre à la Mostra de Venise, où il a obtenu le Lion d’or, et sa présentation événementielle au festival de Toronto, Joker suscite une polémique aux États-Unis en raison de son caractère violent.

On craint chez nos voisins l’effet d’émulation, lequel pourrait faire en sorte que des individus influençables trouvent dans leurs blessures intérieures une justification pour passer à l’acte de la même manière que le fou rival de Batman. Voilà tout le paradoxe d’une culture où les John Wick, Mike Banning, Rambo et compagnie peuvent divertir à leur guise en jouant vigoureusement de la gâchette, mais où est montré du doigt un personnage qui tend à l’Amérique un miroir implacable.

Car il faut bien le dire : ce Joker ne propose rien d’« aimable ». C’est justement ce qui fait sa force. Sombre, troublant, déstabilisant, ça, oui. Et, surtout, marqué par une performance hallucinante – et hallucinée – de Joaquin Phoenix. Ce film ovni, complètement indépendant des autres productions de DC Comics, emprunte aussi la forme d’un hommage au cinéma américain d’il y a 40 ans. Puisé à même les classiques des années 70 et 80, particulièrement le cinéma de Martin Scorsese (des références directes sont faites à Taxi Driver et à The King of Comedy), le récit trouve un écho contemporain particulier, dans la mesure où il expose la folie à l’état pur, celle qui fait que des types, taciturnes au-delà de la colère et de la rage, commettent l’irréparable d’une manière qui dépasse l’imagination.

C’est ce qui arrive à Arthur Fleck (Phoenix), rejeté partout. Vivant avec une mère névrosée (Frances Conroy), incapable de garder un emploi, encore moins de développer des relations sociales, le jeune homme tente de gagner sa croûte en faisant le clown dans des fêtes d’enfants. Son esprit est tellement décalé qu’il a même l’idée d’utiliser un revolver comme accessoire dans son numéro. Arthur fait partie de ceux qui sont constamment « à côté », dans tous les aspects de leur vie. Il veut devenir humoriste, mais le talent n’y est pas. Ses performances – et son rire maléfique – ne provoquent que de gros malaises. Son histoire le mènera pourtant à rencontrer son idole : un animateur de talk-show à la Johnny Carson, incarné par… Robert De Niro. Ce dernier se retrouve ainsi à inverser les rôles par rapport à Rupert Pupkin, son célèbre personnage dans The King of Comedy

Une réalisation éblouissante

Todd Phillips, cinéaste reconnu jusqu’ici essentiellement grâce à des comédies à la Road Trip et The Hangover, a orchestré une mise en scène éblouissante, en adéquation parfaite avec les maîtres du dernier âge d’or du cinéma américain. On pense à Scorsese, bien sûr. Mais aussi à Sidney Lumet, Francis Coppola, Sam Peckinpah, toute cette bande qui a marqué le cinéma de cette époque. Ainsi, ce personnage de bande dessinée, lui-même inspiré par L’homme qui rit de Victor Hugo, évolue dans un cadre ultraréaliste. Voilà possiblement d’où provient le trouble profond qu’engendre ce film.

La puissance dramatique de Joker est aussi en grande partie due à l’extraordinaire composition de Joaquin Phoenix.

Avec un corps déconstruit, pratiquement décharné, qui peut aussi bouger et danser avec une espèce de grâce singulière (il le fait souvent), l’acteur plonge tête baissée dans ce personnage cassé. Et ça glace le sang.

Si les membres de l’Académie ne sont pas trop frileux, il est évident que Phoenix, l’un des plus grands acteurs du moment, sera l’un des favoris à la prochaine cérémonie des Oscars.

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MARC-ANDRÉ LUSSIER

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