Laurent Lafitte : l’essence du jeu

ARTNEWSPRESS: Dans L’heure de la sortie, Laurent Lafitte incarne un professeur appelé à enseigner dans une classe de surdoués, tous pris d’une étrange angoisse existentielle. Ce deuxième long métrage de Sébastien Marnier explore à fond le trouble d’une époque où l’espoir d’un monde meilleur n’existe pas aux yeux des jeunes. Nous avons rencontré l’acteur lors de son passage au festival Cinemania l’an dernier.

Sébastien Marnier a tiré son scénario du roman de Christophe Dufossé, sorti en 2002. Y a-t-il un élément qui vous a particulièrement attiré à la lecture ?

Au début, j’ai eu l’impression de lire le scénario d’un thriller classique. Mais assez rapidement, une dimension politique intervient par surprise et dirige cette histoire à un endroit plus étrange, voire très bizarre. On passe aussi d’un film à suspense à un film militant. J’ai trouvé cela très intéressant et, surtout, très original. Comme j’avais aussi beaucoup apprécié le premier long métrage de Sébastien Marnier [Irréprochable, avec Marina Foïs], dont l’atmosphère était aussi très inquiétante, j’ai tout de suite eu envie d’en être.

Quel est votre critère principal quand on vous propose un projet ?

J’aime bien rencontrer le réalisateur après avoir lu un scénario pour discuter et voir si on imagine la même chose autour de l’histoire. C’est surtout ça. Plus on lit de scénarios, plus on apprend à les décoder. Ça peut parfois être un peu laborieux parce que, n’étant pas des objets littéraires, les scénarios ne sont pas conçus pour être lus a priori. Cela dit, il y a quand même une évidence quand on tombe sur un scénario bien écrit. Il suffit de peu de pages pour se rendre compte de la qualité de l’histoire et des dialogues.

Vous êtes pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2012. C’est dire que le théâtre occupe une place très importante dans votre vie. Or, vous semblez enchaîner les tournages de films. En plus de L’heure de la sortie, vous avez joué cette année dans Un peuple et son roi, Les fauves et Nous finirons ensemble. Comment conciliez-vous tout ça ?

En fait, une coïncidence a fait en sorte que tous ces films sortent pratiquement en même temps ! Dans la réalité, je passe pratiquement toute mon année à la Comédie-Française et j’y suis heureux. Sinon, je partirais. Mon degré d’excitation peut évidemment varier d’une saison à l’autre, et les projets mis en place par les administrateurs peuvent nous faire plus ou moins envie, mais c’est normal quand on fait partie d’une troupe.

D’où vient ce désir de jouer la comédie ?

Ce désir était d’abord un peu honteux et inavouable, car je ne proviens pas du tout d’une famille d’artistes. Ce monde me paraissait complètement inaccessible. À l’âge de 15 ans, j’ai répondu à une petite annonce de France 3, qui organisait des auditions pour un téléfilm. Et j’ai été pris ! J’ai alors été obligé de tout dire à mes parents. Après ce tournage, ma vie n’a plus été la même. J’avais le désir assez naïf d’être dans les histoires. Enfant, on a l’innocence de penser que le héros qu’on voit dans un film vit ses aventures pour vrai. Ça a déclenché en moi une envie de vivre des choses extraordinaires, et le moyen par lequel je pouvais y parvenir était celui des films, de la fiction. Après survient bien entendu le désenchantement quand on se rend compte que Harrison Ford est un acteur et non pas Indiana Jones, mais le désir se déplace ailleurs, notamment dans cette faculté de créer et de faire passer des émotions fictives pour les partager avec un public. Mon intérêt n’a pas cessé d’évoluer en fonction des choses que je découvrais. Le théâtre est venu plus tard.

Trente ans plus tard, la motivation est-elle toujours la même ?

Je fais de plus en plus ce métier pour les bonnes raisons, je crois. Je me suis débarrassé des ambitions crasses, du désir de plaire, tout ça. Je m’intéresse maintenant à ce qu’est l’essence de ce métier, qui me passionne de plus en plus. J’ai aussi l’impression de ne pas avoir vraiment d’emploi précis, ni au cinéma ni au théâtre. Ça ne veut pas dire que je peux tout jouer, mais j’ai la chance de ne pas avoir été catalogué dans un genre en particulier. Cela dit, je suis un homme de 45 ans. Ça oriente forcément les rôles qu’on m’offre.

Vous proposerez l’an prochain L’origine du monde, votre premier long métrage à titre de réalisateur, une comédie « décalée et irrévérencieuse » adaptée de la pièce de Sébastien Thiéry. Vous allez y tenir le rôle principal, entouré de Karin Viard, de Vincent Macaigne et de Nicole Garcia. Voyez-vous la réalisation comme un prolongement de votre métier d’acteur ?

Un acteur met toujours son talent au service d’un ou d’une cinéaste et, surtout, il est toujours tributaire du désir des autres. Au bout d’un moment, on a besoin d’élargir un peu, de trouver sa propre manière pour raconter des histoires aux gens. Je ne sais pas comment sera le mien, mais je trouve que, dans l’ensemble, les films réalisés par des acteurs ou des actrices sont plutôt bons. À force de fréquenter les plateaux, on a l’instinct de repérer ce qui risque d’être précieux dans une prise.

Quelle a été votre réaction la première fois que vous avez vu L’heure de la sortie ?

La seule réserve que j’ai eue à la lecture du scénario concernait la toute fin du film. Or, à la projection, cette scène finale a provoqué chez moi beaucoup d’émotion, au point où j’ai été surpris d’en être aussi ému. C’est à la fois très surprenant et très fort.

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MARC-ANDRÉ LUSSIER

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