Le Seigneur des Anneaux : à quoi devait ressembler la suite envisagée par Tolkien ?

Artnewspress: Ébauchée par J.R.R. Tolkien et intitulée “The New Shadow”, la suite du “Seigneur des Anneaux” a finalement été abandonnée. Mais à quoi aurait pu ressembler cette dernière aventure en Terre du Milieu ?

“Je ne croyais pas que ça finirait de cette manière.” “Finir ? Non, le voyage ne s’achève pas ici…”

A la fin des années 50, alors que J.R.R. Tolkien envisageait de renvoyer sa plume courir les chemins de la Terre du Milieu, la célèbre réplique de Gandalf à propos de la mort aurait tout aussi bien pu s’appliquer à la trilogie du Seigneur des Anneaux, adaptée au cinéma par Peter Jackson en 2001.

En effet, en 1955, le légendaire écrivain britannique mettait un point final à son Retour du Roi. Frodon avait réussi à jeter l’Anneau Unique dans les flammes de la Montagne du Destin, Sauron avait été vaincu, Aragorn avait été couronné Roi du Gondor et les Peuples Libres de la Terre du Milieu avaient été débarrassés du mal qui les rongeait depuis des siècles. Bref, la grande épopée du Seigneur des Anneaux avait pris fin. Mais l’histoire était-elle terminée pour autant ? Pas nécessairement. En tout cas pas pour Tolkien.

UN THRILLER SIGNÉ TOLKIEN ?

Ainsi qu’on peut s’en rendre compte en lisant l’une de ses lettres, publiée par son fils Christopher Tolkien dans un recueil épistolaire, le célèbre auteur britannique avait effectivement l’intention – du moins pendant un temps – de prolonger sa légende et d’offrir une suite au Seigneur des Anneaux. Intitulée The New Shadow (La Nouvelle Ombre) et située environ un siècle après le voyage de Frodon jusqu’en Mordor, elle n’aurait concerné aucun des personnages de la trilogie (en tout cas pas directement) et aurait pris une forme pour le moins inédite dans l’oeuvre de Tolkien.

Dans une lettre adressée à son ami Colin Bailey, l’auteur décrit ainsi The New Shadow comme une sorte de “thriller”, une histoire aux dimensions bien moins épiques que celles du Seigneur des Anneaux, une espèce d’enquête plus confidentielle, et à hauteur d’homme, sur l’insidieux retour du Mal en Terre du Milieu, à une époque où chacun semble avoir oublié son existence.

“J’ai commencé une histoire qui se situe environ 100 ans après la Chute [de Sauron], mais elle s’est révélée à la fois sinistre et déprimante”, écrivait ainsi Tolkien à Bailey. “Puisque l’on y parle des Hommes, il est inévitable que l’on se préoccupe de la caractéristique la plus regrettable de leur nature : leur rapide sentiment de satiété par rapport au bien. C’est ainsi que le peuple du Gondor, en ces temps de paix, de justice et de prospérité, serait devenu mécontent et agité – tandis que la dynastie descendant d’Aragorn se serait réduite à des rois et à des gouverneurs – comme Denethor ou pire encore.”

L’auteur poursuit en évoquant une résurgence du mal dans ce nouveau monde des Hommes, dont la méfiance s’est assoupie depuis des décennies : “J’ai toutefois découvert très tôt qu’il y avait une réminiscence de complots révolutionnaires, à propos du centre d’une religion satanique secrète; tandis que les jeunes garçons du Gondor jouaient à être des Orques et causaient des dégâts dans les environs. J’aurais pu écrire un thriller sur ce complot, sur sa découverte et sa chute – mais cela n’aurait été que ça. Cela n’en valait pas la peine.”

L’HISTOIRE DE BORLAS ET SAELON

Même si ce nouveau projet a été abandonné par Tolkien assez rapidement, les quelques informations dont nous disposons aujourd’hui au sujet de The New Shadow, bien que réduites, sont suffisantes pour nous permettre de visualiser le décor de cette histoire : ses enjeux, ses personnages, et même l’ébauche de son intrigue.

Car en effet, avant de reposer sa plume, Tolkien avait eu le temps de rédiger les 13 premières pages de son ouvrage, qui ont par la suite été publiées par son fils dans le recueil The Peoples of Middle-Earth.

L’histoire débute donc 100 ans après la fin du Seigneur des Anneaux, alors que le règne d’Eldarion (fils d’Aragorn et d’Arwen) touche à sa fin. Ainsi que le décrivait Tolkien dans sa lettre, les habitants du Gondor n’ont pour la grande majorité jamais connu la guerre, et vivent en harmonie depuis des décennies.

Dans ce contexte bien précis, au bord de la rivière Anduin, face aux murailles de Minas Tirith, deux personnages sont au beau milieu d’une discussion :

  • Le premier, un vieillard nommé Borlas, est le fils de Beregond, un éminent capitaine de Faramir qui a combattu aux côtés de Pippin durant la grande Bataille des Champs du Pelennor, dans Le Retour du Roi (même s’il n’apparaît pas dans le film de Peter Jackson). Malgré le poids des années, Borlas, qui a vu son père combattre, est donc l’un des derniers témoins vivants des ravages qu’ont pu causer les armées de Sauron en Terre du Milieu.
  • Le second est un jeune homme appelé Saelon. Plutôt énigmatique, il se montre désireux d’en apprendre davantage sur ce “mal” qu’il n’a jamais connu.

C’est justement autour de ce sujet précis que s’articule leur conversation. Borlas évoque d’étranges disparitions récentes parmi les marins du Gondor, débat avec son interlocuteur du comportement néfaste qu’avaient les Orques au sujet des ressources naturelles, et compare le mal à un “Arbre Obscur”, dont les racines sont encore présentes dans le monde des Hommes.

Saelon, mystérieux, lui propose d’en découvrir davantage en l’accompagnant à une sorte de rendez-vous secret, le soir venu, tout de noir vêtu, et mentionne le nom d’un certain Herumor.

Une fois la conversation terminée, seul dans son jardin, Borlas hésite à accepter l’invitation, et finit par se décider, conscient de la responsabilité qui lui incombe en raison de ses précieux souvenirs : “Je pense que je pourrais encore sentir l’odeur de cet ancien mal, et le percer à jour”, se dit-il, ainsi que le relate l’excellente vidéo de la chaîne In Deep Geek (que l’on vous recommande de visionner pour plus de détails).

Le texte de Tolkien s’arrête alors sur ce que l’on pourrait appeler un “cliffhanger” lorsque Borlas, rentrant dans sa maison, s’arrête net, car il vient justement de sentir et de reconnaître “l’odeur du mal ancien”.

LÉGENDE INACHEVÉE

Peut-être est-ce justement à cause de son côté sombre que Tolkien n’a pas dépassé la treizième page de cette histoire qu’il qualifie lui-même de “sinistre et déprimante”.

De ce qu’on peut en deviner en explorant les quelques lignes laissées par l’auteur, The New Shadow semble adopter une vision tout à fait différente du combat entre le bien et le mal. Contrairement à ce que l’on pouvait voir dans Le Seigneur des Anneaux, où la menace se déclarait au grand jour, levait des armées d’Orques pour anéantir le monde, elle est ici tapie dans l’ombre d’obscurs rassemblements secrets.

Peut-être ces deux dimensions se seraient-elles révélées complémentaires si Tolkien avait décidé d’achever sa dernière oeuvre. Mais sans doute avait-il d’excellentes raisons de la laisser ainsi en jachère, même si la frustration des fans, au terme de ces 13 premières pages, se sera probablement fait sentir.

“Cela n’en valait pas la peine”, a-t-il tout simplement décrété, préférant probablement que le point final de son extraordinaire épopée demeure une couronne posée sur le front d’Aragorn, une Terre du Milieu définitivement débarrassée du mal, et un navire elfique voguant paisiblement vers les Terres Immortelles.

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