Pierre Richard : «J’aurais aimé faire du cinéma muet»

ROOZBEH JAFARI ARTNEWSPRESS: À 85 ans, le Grand Blond remonte sur les planches et campe un formidable « Monsieur X », écrit et mis en scène par Mathilda May, au Théâtre de l’Atelier à Paris.

Il reçoit chez lui, à Paris. Il est 10 heures du matin, il a joué la veille. Pas vraiment réveillé, le « Distrait » avait un peu oublié notre entrevue. Qu’importe, un rapide aller-retour dans sa chambre, un café et le voici face à nous, tignasse en bataille, affichant un grand sourire derrière sa barbe blanche. Ses yeux bleus nous fixent avec bienveillance. Le voici tout dispo, à défaut d’être tout à fait frais, pour nous parler de la création sur mesure que lui a confectionnée Mathilda May.

Comment allez-vous ?

PIERRE RICHARD. Ça va bien parce que les gens aiment beaucoup le spectacle et que le travail avec Mathilda May est un plaisir. Mais ça va mal parce qu’ avec les grèves, le théâtre est désert. Ça se comprend… Moi-même, à moto, je mets trois quarts d’heure pour aller au théâtre. Je suis plus fatigué d’y aller que de jouer… Je ne critique pas les grèves, je dis que c’est dommage de démarrer maintenant…

Vous le comprenez ce mouvement ?

Si vous me demandez si je suis d’accord avec la réforme, je n’en sais rien par ce que je n’y comprends rien… C’est difficile d’avoir un avis. Mais démarrer un spectacle en ce moment, ce n’est pas de bol…

Qui est ce « Monsieur X » ?

C’est un petit monsieur banal qui vit seul dans un petit appartement. Faire 1h20 avec ça, vous allez me dire… Mais il descend de Sempé, de Michaux, de Magritte; il a un côté surréaliste. Sa théière est sa copine, sa lampe est son copain de chevet, il est vraiment ailleurs et vous emmène dans ses rêves, c’est une évasion au travers de ses péripéties. On peut se sentir beaucoup plus seul au milieu de beaucoup de monde que seul avec son imaginaire sans limites.

Et c’est sans paroles…

Oui, et j’adore ça. J’ai dit oui tout de suite à Mathilda. J’avais depuis longtemps des velléités de faire un spectacle muet, elle m’en donne enfin l’occasion.

Pierre Richard est seul en scène pendant 1h20. Pauline Maillet

Quelque chose vous retenait de faire du muet ?

J’aurais aimé faire du cinéma muet, mais ce n’était plus l’époque. Le seul qui s’en est bien servi c’est Tati, mais je ne voulais pas qu’on dise que je l’imitais. Quant au théâtre, ce n’est pas si facile… Mais quand on a le sens de cela, et Mathilda l’a, on peut en dire beaucoup plus qu’avec des mots. Ça a l’air d’un paradoxe, mais le muet est beaucoup plus parlant. Chaplin n’avait pas besoin de texte pour nous faire rire ou nous émouvoir. Idem pour Keaton. Et Mathilda a cette écriture.

Pas de texte donc…

Oui et j’étais content ! Les trous de mémoire, c’est ce qui me fout vraiment le trac au théâtre. Je n’en ai pas au cinéma, c’est plus fractionné et il suffit d’avoir la décence d’apprendre son texte… Enfin, certains ne le font pas…

On ne citera pas de nom…

Oh, je ne parle pas de Gérard (NDLR/Depardieu), il est tellement génial qu’il est aussi bon avec ou sans oreillette. C’est un cas à part, il faut avoir le talent de s’en servir, il ne faut pas rester la bouche bée à attendre qu’on vous souffle. Non, lui se la joue Marlon Brando, prend un temps et quand ça sort on se dit, putain ça vient du bide, alors que ça vient de l’oreille (rires). Il est génial.

Pas de texte, mais une sacrée partition à respecter avec tous ces déplacements, ces gestes…

Et c’est presque pire. Le texte, c’est quand même une armature… Mon partenaire principal, c’est la fille qui fait les bruitages et notre coordination doit être parfaite. J’ai une certaine liberté, heureusement, mais toutes les ponctuations doivent être précises. Ça demande une grande concentration… Il n’y a pas beaucoup de moments où je peux penser à ce que je vais manger le soir (rires). J’ai aussi des manipulations à faire pour les effets spéciaux et moi qui suis d’une imprécision méticuleuse, il faut que je fasse très attention…

Cela laisse place au plaisir ?

Ah oui, parce que j’aime ça. J’ai rarement fait quelque chose qui ne me faisait pas plaisir. Autrement, je dis non. Dès la lecture, je me suis dit que jouer pour Mathilda serait un rêve. Et donc du plaisir.

Ce genre peut voyager facilement, à l’étranger notamment…

C’est vrai, comme dans le temps Marcel Marceau, on peut aller à Tokyo ou à Buenos Aires. Mais on n’en est pas là, moi j’aimerais bien déjà terminer ces trois mois avec un peu de monde. Quand je vois la réaction de 30 personnes, je me dis que s’il y en avait 600, je m’envolerais…

Ça vous laisse le temps pour d’autres projets ?

Au théâtre, non. C’est avec celui-là que j’ai envie de voyager un bout de temps… Certains n’aiment pas les tournées, moi j’adore, on change de théâtre donc on change de resto (rires).

Et au cinéma ?

Je n’en parle pas parce qu’à chaque fois que j’en parle trop tôt, ça capote… Je deviens superstitieux. Je crois que je préfère le cinéma au théâtre d’ailleurs, c’est dans ma nature, mais j’aime particulièrement ce spectacle parce que j’y joue comme il y a 40 ans dans mes films. Je retrouve ce plaisir de la gestuelle, ma façon d’être, de marcher, d’hésiter… Ce que je ne fais plus jamais au cinéma… Aujourd’hui, je suis un vieux, un grand-père, un vieil emmerdeur… Ce que je ne veux pas jouer, c’est le vieux fatigué avec un déambulateur. Je n’ai pas envie d’anticiper tout ça.

Vous n’aviez pas une réalisation en projet ?

Si, la Gaumont était partante, j’ai même commencé à faire les découpages, à composer l’équipe technique. Mais avant, quand un producteur vous disait On le fait, on le faisait. Aujourd’hui, ça dépend de la télévision et des comités de lecture. Canal + a dit non, alors la Gaumont a tout arrêté.

Vous êtes libre d’aller voir ailleurs ?

En fait, je, n’avais pas de projet précis. Un copain m’a donné une idée, ça m’a amusé de l’écrire, par plaisir. J’ai souvent dit que je ne voulais plus faire de film, ça prend trois ans et je n’ai plus le temps à mon âge. Je préfère tourner trois fois comme acteur que de m’échiner trois ans pour réaliser un film qui peut échouer dès la première séance parce qu’on vous dira que c’est foutu… Je n’avais pas envie de revivre ça. Mais mon agent l’a fait lire à la Gaumont qui a aimé. Je ne m’attendais à rien, mais j’y ai cru. Et puis non. Je ne sais pas si j’ai envie de poursuivre…

C’est un film dans lequel vous deviez jouer ?

Oui, bien sûr.

Il faut le faire alors !

On verra. Si on le fait, il faut le faire vite. Pas dans cinq ans.

« Monsieur X », écrit et mis en scène par Mathilda May, avec Pierre Richard au Théâtre de l’Atelier, Paris (XVIIIe), jusqu’au 8 mars 2020.

https://leparisien.fr

Sylvain Merle

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