Reprise : « Donnie Darko », fable fantastique sur la conscience apocalyptique d’un adolescent

Le premier long-métrage de Richard Kelly, qu’il a réalisé à l’âge de 26 ans, sorti en 2001, revient en salle dans une version restaurée.

ARTNEWSPRESS : Dix-huit ans après le rendez-vous manqué de sa sortie, Donnie Darko revient sur les écrans en grande pompe (une version restaurée ), bardé d’une étiquette « culte » qui le rhabille en chef-d’œuvre maudit et définitif du film d’adolescents (teen movie). Ce retour offre avant tout l’occasion de se pencher sur le cas du malheureux Richard Kelly, cinéaste précoce et prometteur, qui livrait ce premier long-métrage à l’âge de 26 ans et s’engouffrait sans le savoir dans une impressionnante spirale de revers et de malentendus.

Froidement accueilli lors de sa présentation à Sundance, Donnie Darko eut la malchance de sortir aux Etats-Unis un mois après le 11 septembre 2001, ce qui rendit inexploitable son récit s’ouvrant sur la chute d’un réacteur d’avion. Le succès phénoménal du film en DVD a néanmoins relancé le jeune réalisateur à la tête d’une production à 17 millions de dollars, Southland Tales (2006), satire prophétique du cirque médiatico-politique américain, tellement chahutée lors de son passage à Cannes qu’elle resta sur les étagères du studio Universal. Son troisième et dernier film en date, The Box (2009), hommage au cinéma des années 1970 d’après une nouvelle fantastique de Richard Matheson, s’est, en dépit d’une tournure plus commerciale, soldé une nouvelle fois par un échec au box-office.

Vertigineuse est la vitesse avec laquelle Richard Kelly est ainsi passé du statut de jeune espoir miraculé d’Hollywood à un silence qui perdure désormais depuis dix ans. Un mauvais sort semble avoir plané sur la carrière du cinéaste, dont on retrouve l’ombre portée au cœur même de Donnie Darko, fable étrange et fantastique sur la conscience apocalyptique d’un adolescent, admirablement combinée avec le panorama social, tirant vers la satire, d’une petite ville huppée du Midwest, à la veille de l’élection de George Bush, aux derniers feux du reaganisme triomphant.

Un ami imaginaire

Donnie Darko (Jake Gyllenhaal, alors âgé de 19 ans), adolescent sombre et tourmenté, mène une existence instable entre un lycée pétri de fausses valeurs, une famille aisée mais quelque peu apathique et ses séances chez la psychanalyste. Un soir, guidé hors de chez lui par Frank, son ami imaginaire (une silhouette glissée dans un effrayant costume de lapin carnassier), le garçon échappe de justesse à la chute d’un réacteur sur le toit de sa maison. Convaincu par ses visions que la fin du monde approche, Donnie recueille les signes annonciateurs du chaos qui fourmillent autour de lui, se lance dans des actes de délinquance et noue une histoire d’amour avec la petite nouvelle de sa classe, Gretchen (Jena Malone).

Donnie Darko apparaît aujourd’hui comme une synthèse tardive (égarée au début du XXIe siècle) du cinéma américain des années 1990, décennie marquée par un retour de paranoïa, entre des récits centrés sur le motif du complot et des images pétries de faux-semblants. S’il touche juste en ce qui concerne l’adolescence, c’est parce que Kelly considère celle-ci comme une forme de psychose, c’est-à-dire comme un point de rupture entre soi et le monde, donnant lieu à toute une série de dérèglements. Son jeune héros, qui semble constamment flotter entre veille et sommeil (de très beaux passages musicaux sur les titres d’Echo and The Bunnymen ou Tears for Fears), atteint précisément l’âge d’interpréter le monde autour de lui, de lui trouver à tout prix une cohérence qu’il n’a pas forcément, quitte à verser dans le délire.

Visions et cauchemars

Donnie s’invente l’herméneute d’une réalité trop banale qu’il soupçonne sillonnée de schémas secrets et de significations cryptées. Paranoïa et schizophrénie se combinent en lui comme le pressentiment que quelque chose ne tourne pas rond, dans cette Amérique policée et craintive, où les écoles peuvent ouvrir leurs portes aux charlatans (le gourou de l’auto-perfectionnement joué par Patrick Swayze) et où les parents perdent contact avec leurs enfants.

Mais l’adolescence, c’est surtout la conscience aiguë d’une mort anticipée : une sorte de voyage dans le temps qui prend, chez Donnie, la forme d’un compte à rebours eschatologique. Multipliant les plans ralentis, accélérés ou défilant à l’envers, le film fait du temps une matière infiniment malléable, réversible, creusée de galeries insoupçonnables. Le plus beau étant qu’il épouse complètement la subjectivité délirante de son personnage, se rendant perméable à ses visions et cauchemars, foisonnant comme lui de pistes d’interprétations sans jamais en boucler aucune. Le montage original du film ressort en même temps qu’une version « director’s cut » plus longue de vingt et une minutes, dispensable tant elle porte atteinte au mystère et, par moments, à la beauté plastique de ce film inoubliable.

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