Tom Hanks en 1994 : “j’ai grandi sans ma mère, je me suis senti abandonné”

ARTNEWSPRESS: « Forrest Gump » est sorti sur les écrans français il y a 25 ans, ce samedi 5 octobre. À cette occasion, Tom Hanks s’était confié sur sa jeunesse… Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.

Il y a 25 ans, jour pour jour ce samedi 5 octobre, sortait sur les écrans français « Forrest Gump ». Le rôle titre, celui d’un homme simple d’esprit mais au coeur grand, et témoin des grands événements de la seconde moitié du XXe siècle, avait offert à Tom Hanks son second Oscar du meilleur acteur, après «Philadelphia» l’année précédente.

À l’époque, Match avait évoqué avec lui les similitudes entre sa propre vie et celle de son personnage, ainsi que son enfance douloureuse et son rapport avec sa mère. À l’occasion de cette sortie, notre magazine avait également rencontré Winston Groom, l’auteur du livre dont le film de Robert Zemeckis était tiré, le créateur du fascinant personnage de Forrest Gump…

Paris Match n°2368, 13 octobre 1994

Personne d’autre que Tom Hanks ne pouvait incarner Forrest Gump

Interview Gisèle Galante

A 38 ans, avec déjà un Oscar pour « Philadelphia», il a toutes les chances d’en obtenir un second. Normal: sa propre vie ressemble étrangement à celle de son héros

C’est le film qu’on n’attendait pas. En dix semaines, les aventures d’un naïf de l’Amérique profonde ont rapporté 250 millions de dollars à la Paramount. Un chiffre phénoménal! Deux ou trois fois plus que les derniers Schwarzenegger, Harrison Ford ou Mel Gibson. Dans le rôle de Forrest Gump, Tom Hanks incarne un jeune garçon de l’Alabama dont le Q.i. culmine à 75 – ce qui fait de lui non pas un débile, mais un naïf dangereusement désarmé face à la vie. Or son existence, des années 50 à nos jours, va le mêler à toutes les grandes aventures de l’Amérique. Des débuts d’Elvis Presley à une action héroïque au Việt-nam, en passant par des rencontres dans le bureau Ovale avec Kennedy, Johnson et Nixon, Forrest Gump va passer sans s’en rendre compte à travers toutes les plaies de son époque – jusqu’au sida. D’incongruités en maladresses inspirées, il terminera en milliardaire ingénu, imperméable aux humiliations que les «gens normaux » n’ont cessé de lui infliger.

On voit ce film et on comprend pourquoi le cinéma américain domine le monde. De Woody Allen à James Ivory en passant par Martin Scorsese, Robert Altman ou Coppola, il règne même de façon écrasante sur le cinéma d’auteur que l’Europe prétend incarner. Dans « Forrest Gump », au-delà des trucages (saisissants) et de la performance de Tom Hanks, c’est l’idée originale et le scénario extraordinairement travaillé qui révèlent l’ouverture d’esprit et le professionnalisme des producteurs américains. Sans oublier le savoir-faire du metteur en scène, Robert Zemeckis, déjà réalisateur de «A la poursuite du diamant vert», de « Qui veut la peau de Roger Rabbit? » et de « Retour vers le futur » 1, 2 et 3. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on parle de «gumpisme» et on publie les aphorismes de Forrest Gump. Le personnage est devenu un archétype dans la lignée de Charlot, Bécassine ou Candide. Alors que le film sort cette semaine sur les écrans français, «Paris Match» a rencontré Winston Groom, l’auteur du livre dont on a tiré le film. Ainsi que Tom Hanks, son interprète principal.

Paris Match. Est-ce que, comme Forrest Gump, vous dites toujours la vérité ?
Tom Hanks. Je m’y efforce. Même lorsque je fais la promotion d’un film. En vieillissant d’ailleurs, je réalise qu’il est beaucoup plus facile de dire la vérité que de mentir. Je pense que la seule façon de se protéger est de donner de soi une image vraie. Jusqu’à présent, je crois y être parvenu.

Forrest Gump ne s’interroge ni sur le hasard ni sur le destin. Et vous ?
Pour lui, nous avons tous un destin qui va nous rattraper. Il ne faut donc pas s’inquiéter, mais se laisser aller et l’attendre. Moi, de même, je n’ai jamais nourri de rêves et ne me suis pas fixé d’objectifs à atteindre. Autour de moi, des gens disaient : “Je veux devenir architecte.” Ils se sont inscrits dans des écoles et sont devenus architectes. Je n’ai jamais agi ainsi. Peut-être par peur de l’échec. J’ai toujours accepté les occasions qui se présentaient. Et c’est ainsi que je suis devenu acteur.

Comme Forrest Gump, enfant, vous n’aviez qu’un parent, votre père. Cuisinier, il se déplaçait de ville en ville. Avez-vous souffert de cette enfance nomade et anticonformiste ?
Non. J’aimais bien cette vie, j’aimais changer de ville. L’idée qu’on ne peut avoir d’enfance heureuse que si l’on vit dans la même maison, avec les mêmes parents pendant des années, est débilitante. Je connais des gens qui ont vécu ainsi et qui sont aujourd’hui très malheureux. Ils n’ont jamais eu la chance d’être confrontés à toutes les influences que j’ai reçues, et qui sont la conséquence de ma situation familiale. Avec le divorce de mes parents, mon père voyageant sans cesse. A 10 ans j’avais déjà vécu dans dix villes, j’avais dix groupes d’amis différents. Rien ne pouvait me déphaser. Rien ne pouvait me faire perdre le sommeil. Je me sentais capable d’assumer n’importe quelle situation.

Avez-vous souffert de l’absence de votre mère?
J’ai deux frères et une soeur. Ils ont tous passé beaucoup plus de temps que moi avec ma mère. Moi, Je la voyais très rarement. Elle n’a pas influé sur ma personnalité. A 25 ans, j’avais déjà vécu vingt ans loin d’elle. Nous avions l’impression de ne pas nous connaître. Un jour, je lui ai dit : “Maman, je ne sais pas qui tu es, mais je t’aime car tu es ma mère. J’aimerais passer du temps avec toi…”

Comment se fait-il que le mot “solitaire” revienne si souvent dans les interviews que l’on peut lire de vous ?
Parce que c’est ce que j’ai vécu. Je me suis senti abandonné. Lorsque j’en parle aujourd’hui à mes frères et soeur, ils me disent qu’eux aussi ont eu la même impression d’abandon. C’est à 30 ans que j’ai commencé à faire face à ce sentiment, que j’avais refoulé jusque-là. Cela s’est reflété dans mon travail. Dans chacun de mes films, il y avait un personnage qui avait à combattre la solitude. C’est aussi le cas de Forrest Gump, pour qui la bataille est d’autant plus importante qu’il n’a pas conscience tout à fait de ses propres sentiments.

Steven Spielberg a fait récemment ce commentaire : “Tom et moi étions deux âmes esseulées, puis nous avons rencontré deux femmes formidables.” C’est encore vrai avec Forrest Gump, qui ne trouve la sérénité que lorsque Jenny vient enfin vivre avec lui.
C’est vrai. J’ai rencontré Rita. Grâce à elle, je me sens aussi bien en sa présence que loin d’elle. Avec elle, j’ai aussi enfin appris à me disputer sans que cela prête à conséquence. Et puis, grâce à elle, j’ai un grand sentiment de sécurité, car je sais que son amour pour moi est inconditionnel. Comme, idéalement, celui d’un père ou d’une mère. Désormais, j’ai l’impression d’avoir retrouvé un foyer, d’être de retour chez moi, avant que mes parents ne se séparent. Rien ne peut remplacer cela.

Qui a inventé Forrest Gump ?

par Monique Gonthier

À l’origine du film, il y a un roman de Winston Groom. Comme son héros, c’est un sudiste de l’Alabama encore tout surpris de son énorme succès.

« Forrest Gump » est né, il y a huit ans, de l’imagination fertile d’un certain Winston Groom. Deux mètres de haut, les yeux vagues, la parole confuse t abondante, il est originaire, comme son héros, de l’Alabama, où il se destinait au barreau. La faculté de droit de Mobile aura juste eu le temps de l’apercevoir avant qu’il ne s’engage comme lieutenant au Viêt-nam en 1966. Une expérience difficile qu’il décrira dans de nombreux livres, dont un sera « nominé » pour le prix Pulitzer en 1984. A son retour, Winston Groom réussit à se faire engager comme reporter au « Washington Star », où il passera huit ans. Il «couvre » le Watergate en même temps que Bernstein et Woodward.

A New York et dans les Hamptons, au coeur de Long Island, la communauté gauche-caviar-chic du Big Apple, il fait des débuts littéraires très remarqués avec « Better Times Than These » sur le Viêt-nam. Ses parrains en littérature sont James Jones, Irwin Shaw, Joseph Heller, Kurt Vonnegut ou Willie Morris; ils couvent d’un regard indulgent ce cadet aux yeux perdus dans les étoiles… Et puis, il y a huit ans, ce fut « Forrest Gump», un conte de fées innocent et malicieux, la revanche des « petits, des obscurs et des sans-grades immergés dans l’océan d’horreurs, de guerres et de crimes de l’Amérique contemporaine ». Un récit que la critique compare alors aux « Aventures de Huckleberry Finn», de Mark Twain.

Paris Match. Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?
Winston Groom. Avant de mourir à l’âge de 87 ans, mon père, un avocat de Mobile, m’a parlé, troublé, d’une voisine dont le fils était un retardé mental et à qui elle avait appris le piano qu’il jouait magnifiquement. Ça a fait tilt dans ma tête. A minuit, j’avais déjà pondu un premier chapitre. Le livre s’est écrit tout seul et, en six semaines, il était terminé.

Publié il y a huit ans, il est passé inaperçu. Aujourd’hui, il fait un malheur avec trois millions de lecteurs, et ce n’est pas fini. Comment l’expliquez-vous ?
Vous savez, il s’est quand même vendu à 30 000 exemplaires en “hard-cover”, ce qui n’est pas si mal. Ce que je sais, c’est qu’il est difficile de percer parmi les 50 000 titres publiés chaque année.

Comment expliquez le succès du vôtre en librairie, maintenant?
Par le film et par Tom Hanks. Mais, après tout, j’ai créé ce personnage attachant. Il a souffert toute sa vie des humiliations sans nom, car on le prend – à juste titre – pour un imbécile et, en dépit de cela, il a une dignité formidable. Le message est simplet : ‘Vous n’avez pas à être riche et intelligent pour rester digne.’ Tom Hanks, qui interprète Gump, a même réussi à adopter les inflexions de Winston !

Dans ce livre, difficilement traduisible, car il mêle le dialecte sudiste avec une grammaire et une orthographe très libres, le héros de cette farce picaresque raconte à la première personne ses expériences d’astronaute, de champion de ping-pong, de champion d’échecs, de catcheur, son amitié avec un orang-outang, son amour pour l’amie d’enfance. C’est candide et impayable. Winston règle même un petit compte avec Raquel Welch, qui l’avait snobé un certain jour. Il la parachute joyeusement dans une aventure hollywoodienne pas triste non plus ! Inutile de dire que tous ces épisodes ont été très édulcorés par les scénaristes de la Paramount.

Dans le film, retardé à cause du succès de «Rain Man » (alors que le livre de Groom avait été écrit auparavant), d’autres aventures, en revanche, surviennent. Pourtant, la réussite du héros dans le commerce des crevettes y est retranscrite fidèlement. Le merchandising étant florissant, 700 000 exemplaires de recettes de « crevettes à la Gump » sont déjà en vente dans les grandes surfaces. Un autre livre a été aussi précipitamment lancé sur le marché sous l’impulsion du producteur du film, « The Wit and Wisdom of Forrest Gump»: «Le bon sens selon Gump». Un best-seller également. En voici un exemple : « Si vous allez au zoo, ne craignez pas d’apporter une petite bouffe aux animaux en dépit de la pancarte “Ne pas nourrir les animaux”. Ce ne sont pas eux qui l’ont écrite. » Le gumpisme est en train d’entrer dans le langage courant américain. Et Groom a la ferme intention d’écrire une suite à « Forrest Gump ».

https://parismatch.com
Clément Mathieu

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