Festival de Cannes : palme d’or pour Titane de Julia Ducournau, grand prix du cafouillage pour Spike Lee

Artnewspress: Après avoir annoncé un peu vite la grande lauréate, Spike Lee a récompensé deux jeunes pousses remarquées de cette édition, Caleb Landry Jones et Renate Reinsve.

Entre culot, euphorie des retrouvailles et après avoir su déjouer les pièges du coronavirus, le 74e Festival de Cannes aurait sans doute préféré finir autrement que sur une fausse note qui gâche la fête. Une sensation de brouillon qui enlève un peu d’éclat au triomphe attendu depuis si longtemps d’une réalisatrice à la tête de son palmarès. Dans un moment de confusion générale, qui rappelle le fameux «envelope gate» des Oscars où le trophée du meilleur film avait été attribué par erreur à La La Land, Spike Lee a d’emblée tué tout suspense en dévoilant le nom de la lauréate de la palme d’or : Julia Ducournau.

Invité par la maîtresse de cérémonie Doria Tillier à révéler le premier gagnant, le président du jury, ne comprenant pas la perche, a annoncé que le récipiendaire de la palme d’or était Titane. Sa jurée Mélanie Laurent l’a aussitôt interrompu mais le secret était éventé. L’AFP n’a pas retenu son alerte. Un premier couac annonceur d’une cérémonie très approximative. Notamment dans catégories où des prix ex aequo étaient annoncés

Malgré tout, le réalisateur afro-américain et son jury ont pu écrire une nouvelle page de l’histoire du Festival de Cannes et du 7e art en décernant la palme d’or à Julia Ducournau pour Titane. Deux décennies après Jane Campion et La leçon de Piano, la Française de 37 ans devient la seconde réalisatrice à décrocher la récompense suprême. Et en dépit du divulgachage de Monsieur le président qui s’est excusé en conférence de presse, l’heureuse élue n’a pu contenir son émotion une fois appelée sur scène.

J’ai raté, c’est tout ce que je peux dire. J’ai été le type qui, au dernier moment, rate le but. Alors toutes mes excuses.

Spike Lee

«Quand j’étais petite, c’était un rituel de regarder le palmarès avec mes parents. Je pensais que les films récompensés devaient être parfaits pour être sur cette scène. Mais je sais que mon film est imparfait. D’aucuns le disent monstrueux», a confié l’heureuse élue, au bord des larmes et sidérée. Et de mettre en garde : « La normalité est un leurre, la monstruosité permet de sortir des cases. Merci au jury d’avoir reconnu le besoin d’un monde inclusif et plus fluide. Merci aux jurés d’appeler à plus de diversité dans le cinéma et nos vies et de laisser rentrer les monstres». Julia Ducournau a conclu en remerciant «ses parents de l’avoir toujours soutenue et laissée libre». Elle mérite sans nul doute la palme d’or du meilleur discours de cette cérémonie décousue qui a commencé avec beaucoup de retard.

Moins inspirée que lors de la cérémonie d’ouverture, Doria Tillier avait lancé les festivités avec son lyrisme habituel : «Beaucoup de choses ont une fin la vie, l’amour, les vacances, les haricots comme la guerre, les queues et les réunions de copropriété, le confinement. Certaines choses n’ont pas de fin comme les souvenirs créés par ce festival.» Cependant, difficile après la gaffe de Spike Lee de coller au texte et de remettre la soirée sur les rails. La comédienne a dû multiplier les allers-retours vers la tribune du jury et improviser. De quoi faire passer pas mal de traits d’esprits pour de la nunucherie.

Tout avait pourtant bien commencé avec le prologue rituel de la palme d’or du court-métrage et de la caméra d’or. Le premier lauréat à monter sur la scène est la cinéaste hongkongaise de Tang Yi pour Tous les corbeaux du monde, palme d’or du court-métrage. La Caméra d’or, qui récompense le meilleur premier film, est revenue au film croate Murina d’Antoneta Alamat Kusijanovic, retenue à Dubrovnik pour cause d’accouchement. Projeté à la Quinzaine des réalisateurs, ce long-métrage suit une jeune ado rebelle et son père sévère, vivant isolés sur une île.

Mélanie Laurent CHRISTOPHE SIMON / AFP

Puis le jury est entré sur scène. On se serait presque cru à un défilé ce mode rétro digne des Sixties au vu du chignon de Mélanie Laurent. Son président, le réalisateur afro-américain Spike Lee, a salué ces dix jours de projection «une fantastique expérience dans une ville, un festival qui est comme son second foyer».

Après Jodie Foster en cérémonie d’ouverture, c’est le réalisateur italien Marco Bellocchio (Le traître) qui a reçu une palme d’honneur pour «son cinéma rebelle et de guerre», selon l’éloge de son confrère et compatriote Paolo Sorrentino. L’éloquence de Jodie Foster semblait bien loin. Hormis celle Julia Ducournau, la plupart des allocutions des vainqueurs sont restées lapidaires quand l’émotion était trop forte, ou fort convenues.

Des jeunes pousses et des ex-aequo

Un peu déstabilisé après son lapsus sur Titane, Spike Lee a laissé Tahar Rahim désigner le vainqueur du prix d’interprétation masculine, qui revient comme on le présentait, à l’acteur texan Caleb Landry Jones, pour sa performance de tireur fou dans Nitram de Justin Kurzel. Dépassé par les émotions, le comédien n’a pu que laisser échapper que quelques mots balbutiés de remerciement.

Caleb Landry Jones, prix d’interprétation masculine pour sa performance de tireur fou dans Nitram. VALERY HACHE / AFP

Le prix du jury a été remis ex aequo à Memoria d’Apichatpong Weerasethakul, palme d’or 2010, et Nadav Lapid pour Le genou d’Ahed.

Renate Reinsve VALERY HACHE / AFP

Coup de foudre de cette 74e édition pour son charisme dans Julie (en douze chapitres) de Joachim Trier, portrait d’une trentenaire indécise, la Norvégienne Renate Reinsve a décoché le prix que tout le monde lui souhait. Celui de l’interprétation féminine.

Chouchou de la presse internationale, le film japonais Drive My Car portrait d’un artiste et sa chauffeur, hantés par leur passé, accroche le prix du meilleur scénario pour son réalisateur Hamaguchi Ryusuke et coauteur Takamasa Oe.

Ron Mael et Russell Mael sont montés sur scène u nom de l’équipe d’Annette VALERY HACHE / AFP

Dans un Festival de Cannes riche en images audacieuses et clivantes, le prix de la mise en scène est revenu au film d’ouverture, l’opéra-rock de Leos Carax Annette. Les frères Sparks, auteur du livret ont rendu hommage à leurs acteurs Adam Driver et Marion Cotillard. Affligé d’une rage de dents, Leos Carax n’était pas en état de rallier la Croisette.

Après un énième moment de flottement, le grand prix fait lui aussi l’objet d’un prix ex aequo, remis donc à Un héros d’Asghar Farhadi et à Compartiment n°6 du Finlandais Juho Kuosmanen.

Spike Lee s’est expliqué ensuite en conférence de presse à propos de ses gaffes à répétition. Il n’en menait pas large. «J’ai raté, c’est tout ce que je peux dire. Je suis un grand fan de sport… J’ai été le type qui, au dernier moment, rate le but. Alors toutes mes excuses. Je suis désolé. Que l’équipe de Titane oublie Spike.»

Des rumeurs bien inspirées

Un vent de suspense soufflait sur la Croisette, à l’approche de l’annonce du palmarès. Quel film succéderait à Parasite, palme d’or en 2019 ? L’Histoire de ma femme, de Ildiko Enyedi, consacré par le service Culture du Figaro ? Drive my car, de Ryusuke Hamaguchi ou Red Rocket de Sean Baker, avaient les faveurs des bookmakers et de la presse internationale. Dès vendredi soir, une rumeur annonçait un jury hésitant entre une palme d’or asiatique ou française. En fin d’après-midi, Titane de Julia Ducournau, qui a causé une poignée de malaises lors de la projection de ce récit dans la lignée de ceux de Cronenberg, revenait dans quelques conversations. Si c’était le cas, Jane Campion aurait enfin une successeur féminine à la palme. De bon augure pour un trophée, la réalisatrice française, Vincent Lindon et son actrice Agathe Rousselle s’apprêtaient à s’engouffrer dans le Palais des festivals.

Côté Asie, le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul et sa star Tilda Swinton, en lice pour Memoria, ont suivi leur exemple peu après.

Nitram revisite la genèse d’une fusillade en Australie, qui avait fait 35 morts en 1996, en se concentrant sur le profil du jeune tireur joué par Caleb Landry Jones, de retour sur le tapis rouge. JOHN MACDOUGALL / AFP

Au petit jeu de discerner le palmarès en fonction des équipes de film revenant sur le tapis rouge, le retour des talents de Nitram semble donner du poids aux chances aux chances de Caleb Landry Jones de décrocher le prix d’interprétation masculine. Son homologue féminine pourrait être Renate Reinsve. La révélation norvégienne de Julie (en douze chapitres) de Joachim Triem est également de la montée des marches. Comme l’équipe du film Un héros du cinéaste iranien Asghar Farhadi. Auteurs de l’opéra rock de Léos Carax Annette , les frères Sparks ont également foulé le tapis rouge.

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